Etienne Dumont dans Bilan (19.09.2016)

LIVRE/Le romancier Michel Layaz raconte « Louis Soutter, probablement »

C’est l’histoire d’une vie. Une existence racontée, et donc un brin réinventée. Avec «Louis Soutter, probablement», Michel Layaz revient à 53 ans sur la trajectoire du Suisse, abusivement promu comme figure de proue de l’art brut, alors qu’il s’agissait d’un homme très cultivé. L’histoire démarre en 1887, Soutter a alors seize ans, pour se terminer le soir de sa mort, en février 1942. L’auteur procède par chapitres se situant chaque fois sur une journée. Deux au maximum.

Etrange destinée que ce Morgien, enfant de la bourgeoise locale, qui fut musicien professionnel et s’intéressa tôt aux arts plastiques! Marié à une Américaine, bombardé directeur du département des beaux-arts dans une école de Colorado Springs, le Vaudois est vite revenu déglingué au pays. Le moral en berne. L’esprit un peu dérangé. Une certaine folie des grandeurs. On sait qu’il finira en 1923 à l’hospice de Ballaigues, près de Vallorbe. Une sorte de mouroir, sans espoir de sortie. L’amateur d’art connaît aussi la suite. Une libération par le dessin. Des milliers de feuilles tracées à la plume, puis au doigt trempé dans l’encre.

Reconnu par certains de son vivant

Soutter a cependant été connu, et reconnu, de son vivant. Par son cousin le Corbusier, qui lui donnera du bon papier et achètera quantité d’œuvres. Par Jean Giono. Par un couple cultivé, qui habitait à La Gordanne, la seule villa palladienne sans doute de Suisse. Il se verra ainsi exposé (à Hartford, dans le Connecticut) avant même que Jean Dubuffet le découvre après sa mort, en 1945. Soutter y avait déjà vu auparavant des reproductions de ses œuvres dans «Minotaure». La plus prestigieuse revue artistique des années 1930, proche des surréalistes menés par André Breton.

Romancier ayant déjà donné depuis 2001 huit titres chez Zoé (dont «Les légataires» et «Les larmes de ma mère»), Michel Layaz réussit son tour de force. Le lecteur entre dans le texte avec une impression de vérité. Tout sonne juste, alors que la réalité de choses reste historiquement floue. Les phrases coulent. Les caractères évoluent. Le roman, car c’en est tout de même partiellement un, progresse. Louis Soutter peut ainsi fermer les yeux, avant que tout s’éclaire dans l’épilogue, situé en 1923. Soutter voit une page blanche. Il s’en empare. «Il la fixait comme on fixerait l’eau d’une rivière ou l’immensité de la voûte céleste; et cette feuille blanche n’était pas blanche, c’est à dire que Louis devinait pour la première fois un réseau d’ombres et de lumières, et il avait maintenant pour devoir de le révéler et de lui donner vie.»

C’est long comme phrase, mais c’est beau.

Pratique : «Louis Soutter, probablement», de Michel Layaz, aux Editions Zoé, 237 pages.