Courses et Discours

www.syllabus.ch, septembre 2014, par Max.

critiques

PIQUANT DE MÉCHANCETÉS, LE TAPIS DE COURSE DU FRIBOURGEOIS MICHEL LAYAZ EST UN RÉCIT À LA MÉCANIQUE MÉTICULEUSE, HUILÉ À SOUHAIT, D’UN HOMME HUMILIÉ SANS LE VOULOIR.

22 août. 27 mai. Neuf mois qui suffisent pour vous changer la vie d’un homme. C’est en tout cas ce qui est tombé sur le râble du « héros » de ce Tapis de course, laconiquement traité de « pauvre type » pour avoir refusé, dans une queue de supermarché, de céder sa place à un gamin lesté d’un unique litre de jus d’orange. Pauvre type. Le genre d’insulte insignifiante qu’on lâche du bout des lèvres, mécaniquement, presque naturellement parfois. Lui va se retrouver bousculé dans ses fondamentaux, remis en question, émietté psychologiquement par cette réplique à la force digne de la vague d’Hokusai. Pour faire face, il va se raconter neuf mois durant en s’enregistrant à l’aide de son téléphone portable. Lui est responsable du Secteur Littérature et Philosophie de la grande bibliothèque. Marié, deux garçons, deux amis et un tapis de course sur lequel il avale ses dix-sept/dix-huit kilomètres quotidien. Une existence réglée au millimètre, un plaisir cynique à écraser culturellement son prochain et un certain talent à l’enfoncer à coup de petites phrases cinglantes tirées de son petit panthéon privé ; « Après les tyrans, je ne connais rien de plus haïssables que les martyrs », « O mes amis, il n’y a nul ami ! »… Imbu, mais aussi, à choix, détestable, méprisant, narquois, odieux parfois, condescendant souvent. Un inventaire qui rit jaune, mais avec une telle constance que cela frise parfois le génie, faisant penser à un cousin lointain du personnage de Bret Easton Ellis, Patrick Bateman. En moins yuppie, moins happy, mais plus flappi. Dans le domaine du tapis de course, l’Américain Nick McDonell en avait déjà fait son terrain de chasse dans Le Prix à payer, mais dans un registre, on va dire, de la prise de conscience : « Il décida alors de courir dehors, par tous les temps. Il disait que la mécanique des tapis de course ne lui convenait pas, mais ce qu’il ne pouvait se sortir de la tête, c’était ce défilement parallèle des horreurs de la guerre et d ela course sur place ». Layaz, lui, enferme son personnage dans une intériorité aveuglante, le condamnant à avancer tel un hamster galopant dans sa roue de plastique et répétant immuablement les mêmes gestes, les mêmes besoins. Si, au vu de la taille de l’ouvrage, 158 pages, on est plus dans le registre du demi-fond que du marathon, l’auteur tient parfaitement son tempo, allegro ma non troppo, sans jamais perdre haleine, relançant de piques bien senties quand le rythme pourrait venir à faiblir. A peine pourrait-on lui reprocher une faiblesse (une contrition ?) en vue de la ligne d’arrivée. (mp)