Isabelle Falconnier dans L’Hebdo-Payot (février 2011)

Perruches, baiser et lumière.

Les deux perruches du salon pépient si fort qu’il faut couvrir leur cage pour s’entendre. Au milieu de la pièce, un vaste canapé rouge accueillant comme un baiser. Depuis la baie vitrée, on distingue les bornes en pierre du tracé de l’ancien tramway qui reliait Lausanne à Moudon. C’est par hasard que Michel Layaz, 47 ans, ami des villes, des cafés et des galeries d’art entre Paris et Lausanne, s’est retrouvé à pouvoir disposer d’un terrain dominant le Léman sous le village d’Epalinges, au-dessus de Lausanne. Du coup, il s’est fait construire, il y a cinq ans, une maison toute de verre et de béton, calme et lumineuse, d’où il livre régulièrement des récits créatifs et déliés.

Né à Fribourg, il a grandi à Berne puis à Lausanne, suivant son père engagé à la Radio suisse romande. Après une maturité commerciale, il s’inscrit en lettres avec la certitude qu’il allait écrire. « J’avais envie d’écrire mais pas de galérer. J’ai très vite eu la certitude qu’il me fallait trouver un travail qui me plaise et me permette de créer. » Du coup, il enseigne depuis dixsept ans le français à l’Ecole professionnelle commerciale de Lausanne (EPCL), se sentant agréablement utile – « Certains élèves ont un rapport douloureux à la langue. J’essaie de leur montrer comment avoir un rapport aimant à elle. »

En 1992, en rentrant d’un voyage autour de la Méditerranée, il tombe en arrêt devant le métro de Lausanne, qui lui inspire Quartier terre, son premier livre publié par l’Age d’Homme en 1993. Depuis, de Ci-gisent aux Légataires, de La joyeuse complainte de l’idiot aux Larmes de ma mère, à la fois prix Dentan et prix des Auditeurs de la RSR, Michel Layaz, marié et père d’une fillette de 9 ans, s’est imposé peu à peu comme une voix originale, persistante et forte de la littérature francophone. Sa langue vigoureuse et joyeuse se met au service de Une boîte en résine du Maroc Contenant du musc, ce récipient est une synecdoque du monde méditerranéen qui l’attire. Un dessin de Carol Bailly Cette artiste proche de l’art brut le lui a envoyé lors d’une dédicace dans une librairie. Une orchidée Il y a toujours des orchidées chez lui. Il aime la couleur, la forme et la senteur de ces fleurs. personnages extravagants, des antihéros poétiques qui posent un regard satirique autour d’eux.

Deux sœurs, son nouveau roman, accompagne des soeurs adolescentes dont le père est interné et la mère partie à New York. Dans leur grande maison, elles s’inventent une vie, tournant en bourrique l’assistante sociale, inventant des jeux avec leur amoureux ou trompant les professeurs intrusifs. Livre doux et fou, il prouve que l’on peut aimer et être aimé à distance, par une mère partie loin, par un père même dans un asile de fous. Parenthèse enchantée, il campe un univers féminin, naturel, malicieux et joyeusement désespéré. Il dit d’ailleurs de ce livre qu’il est « féministe ». « Je suis sensible au monde des femmes et à la cause féministe. Le pire apartheid sur terre est contre les femmes. »

Il considère l’écriture comme un « acte de résistance ». « Ecrire, c’est vouloir échapper à une image figée. Ecrire nous sauve du pire. » Il éprouve, lorsqu’un livre est terminé, un sentiment de joie et de tristesse, comme lorsqu’on quitte un monde dans lequel on se sent bien.

Pendant dix ans, il s’est occupé de la galerie d’art Aparté à Lausanne. Au mur de sa maison, du coup, peintures, photographies ou dessins dans toutes les pièces. Il aime les artistes en marge comme Ignacio Carles-Tolrà ou Carol Bailly mais aussi les plasticiens plus « intégrés » comme le Suisse Urs Lüthi, l’Allemand Thomas Ruff ou le Mexicain Gabriel Orozco.

Dans le courant de mars, La joyeuse complainte de l’idiot rejoint dans la collection Point Seuil son précédent Les larmes de ma mère, ce qui le met dans la situation unique d’avoir un éditeur suisse, Zoé, et deux livres publiés dans la populaire collection de poche française. « Cela me plaît. Je préfère être le numéro 3 ou 6 chez Zoé que le numéro 89 chez un éditeur parisien. » Une affaire de famille.

 

 Source : http://www.payot.ch/fr/selections/payot-l’hebdo-/f-eacute-vrier-2011-les-meilleurs-livres-du-printemps-/priv%C3%A9-michel-layaz-perruches-baiser-et-lumi%C3%A8re