Jean-François Duval dans Construire (mai 2003)

Le prix Dentan à Michel Layaz

Michel Layaz, auteur des « Larmes de ma mère », remporte l’une des principales récompenses littéraires de Suisse romande, soutenue par « Construire », « Le Temps » et le Cercle littéraire de Lausanne. Six auteurs avaient été sélectionnés

Chaque printemps, le prix Michel-Dentan vient récompenser une œuvre de littérature née d’un auteur de Suisse romande, saluée pour « son originalité, ses qualités d’écriture et les bonheurs de lecture qu’elle procure ». Composé de neuf membres, le jury a examiné plus d’une cinquantaine d’ouvrages, sortis entre mars 2002 et mars 2003. (…) Venons-en à l’ouvrage lauréat, « Les larmes de ma mère », de Michel Layaz. Ces larmes, ce sont celles que la mère du narrateur (le cadet de ses fils) verse lorsqu’elle le met au jour. Plus tard dans le récit, elle s’amusera à l’habiller en petite princesse, lui trouvera des fesses « callipyges » et voudra lui faire porter des escarpins verts. Tout le livre part d’objets ou de souvenirs (le mauvais scénario théâtral de « l’oncle » Paulin, le chat Titus) liés à l’enfance du narrateur comme à celle de moult d’entre nous, et de l’une ou l’autre péripétie, souvent désenchanteresse, qui, dans son cas particulier, joue le rôle de révélateur. Voilà une statuette chère à papa malencontreusement brisée, une tour de sable patiemment élaborée sur la plage et méchamment détruite, une première canne à pêche qui ne sert qu’à des retours bredouille, un plongeoir prometteur qui ouvre sur des « plats » retentissants, des cadeaux de maquettes d’avions jusqu’à saturation, une compétition sur un tourniquet qui apporte au narrateur des nausées plutôt que le baiser tant attendu d’une fillette. Les péripéties prennent un tour plus heureux quand, par exemple, un jeu de fléchettes entraîne le fils et son père, complices, dans les bois et du côté d’une certaine ferme où ils sont régulièrement accueillis par deux femmes aux « chairs pleines d’allant ». Tous éléments qui fonctionnent un peu à la façon d’« embrayeurs » pour l’inspiration, et qui, ainsi creusés, développés, vont donner, par petites touches, par petits tableautins, une unité à cette évocation. Le narrateur, avec délicatesse, recompose ainsi une enfance et une identité en devenir (son récit s’adresse en même temps à sa compagne au moment où il écrit). L’évocation centrale, réelle ou fantasmée, est bien sûr celle de la mère. Une mère qui entretient avec son petit dernier une relation ambiguë : il la surprend derrière une porte, nue sur une table et se donnant du plaisir entourée de centaines de livres, quand elle ne soulève pas ses seins pour les porter en offrande devant les yeux de son fils tout en décrétant d’une voix agonisante : « On va les couper. »