Jean-Luc Douin dans Le Monde (juin 2003)

Mères déchaînées

Pour évoquer celles qui leur donnèrent la vie et provoquèrent plus de larmes que de tendres échanges, Evane Hanska opte pour la rage vengeresse, Michel Layaz creuse le mystère de ses nostalgies. Bernard Desportes, lui, accouche d’un texte fulgurant, entre désastre et désirs.

Retraçant récemment, dans un récit poignant et tonique à la fois, la mort de sa mère, Claire Fourier invitait tout un chacun, après ce deuil, à vivre malgré tout et cultiver vaillamment son jardin d’harmonies. Telle n’est pas la leçon que distillent ces trois nouveaux livres inspirés par le souvenir des génitrices. Dans le beau recueil sensuel de souvenir d’enfance de Michel Layaz, construit autour de l’évocation nostalgique d’objets ludiques, menaçants ou interdits, la mère, regrettée, objet d’un culte oedipien, est peinte en flou, prisonnière d’un secret jamais dissipé. Entre mutilations affectives et frustrations physiques, elle apparaît comme une méchante, une voix qui “perce les veines”, un ton de “haine froide”, des yeux d’une “fureur funèbre”. C’est par une crise de larmes qu’elle a accueilli ce fils banni, “bon à jeter à la poubelle”, dont elle jette la seule photographie où elle est avec lui. Depuis, le “petit mâle à ignorer” expie poétiquement son impuissance à susciter en elle un intérêt. Les Larmes de ma mère s’acharnent à percer le mystère de ces phrases et pulsions qui restent pour le narrateur des “plaies inguérissables”. Dont cette scène folle : “Ma mère pleurait (…). D’un pas frissonant, elle s’est levée, et elle a commencé à se déshabiller, silencieusement, d’abord son chemisier, puis sa jupe, ses bas noirs. (…). Elle a retiré son soutien-gorge et laissé apparaître des seins pointus que je trouvais très beaux. Elle passait et repassait ses mains sur ses jambes, sur ses hanches, sur sa poitrine, ses mains qui parcouraient son corps en tous sens, caresses furieuses, comme si les mains voulaient prendre possession de son corps, des mains petit à petit frappées de démence, des mains qui se sont enfoncées dans les seins, monstrueusement, dans une chaire à piller, à violer, et les seins souffraient, se couvraient de rouge, et les mains tiraient, tordaient, et les seins saignaient. Alors ma mère, comme si elle s’était saisie d’une offrande, s’est approchée de moi, ses mains soutenant ses seins, les relevant quelque peu, et elle a dit, d’une voix qui agonise : “On va les couper.””. […]