Alexandre Filllon dans Livre-Hebdo (10/01/2003)

Mère et fils

Le nouveau roman du Suisse Michel Layaz creuse au plus profond du souvenir pour tenter d’expliquer l’attitude d’ une mère.

Le narrateur des Larmes de ma mère, le nouveau roman du Suisse Michel Layaz (un natif de Fribourg repéré avec Les légataires, Zoé, 2001), traine un bien lourd fardeau. Il a en effet grand peine à se débarraser de son enfance pas tout à fait comme les autres, à faire la paix avec la figure d’une curieuse mère. Dernier d’une famille de garçons – il a deux frères aînés -, notre homme entasse un à un les souvenirs et les objets pour tenter d’y voir un peu plus clair. Il n’a ainsi pas oublié les petites voitures métalliques aux très grandes roues et au volant disproportionné ; une canne à pêche avec fil en nylon, moulinet et manche doré, reçu en cadeau à l’âge de dix ans : la limonade framboise “qui avait un goût de pharmacie et mousssait au premier cahot” ; le tourniquet de la piscine du quartier (dont on pouvait repartir avec un baiser si par hasard on remportait le concours de vitesse), les mystérieuses sorties en forêt, “pendant presque deux ans, à raison peut-être d’une fois toutes les trois semaines”, avec son père où ce dernier ne se contentait pas uniquement de jouer aux fléchettes… Surtout, il garde en mémoire d’inombrables images de cette mère auxréactions souvent étranges. Une femme préparant chaque soir des repas équilibrés, possédant une chambre carrée uniquement garnie d’un fauteuil en cuir rouge et d’une table basse, mais pleine de livre, où elle ne voulait pas voir entrer ses enfants. Une mère qui eut une crise de larmes à sa naissance.  » Sur la photographie où on la voit elle et moi, quelques minutes après la nais- sance, on distingue clairement – malgré le rouge déjà repassé sur ses lèvres, mal- gré le fond de teint déjà replaqué sur les joues – on distingue clairement ses yeux mouillés. Ma mère qui pleure. Qui a pleuré. L es larmes de ma mère. Une naissance de larmes. Je ne sais plus qui a dit flux effrayant en regardant la photographie.  » Drôle de maman, essentiellement vê- tue de robes violettes et bordeaux, qui  » riait des clowneries et de l’intempérance de ses deux premiers fils et qui souirait de la béatitude du troisième, content de s’amuser comme un gredin avec une goutte de rosée, avec le ronronnement d’un chat « , aimant à le coiffer – vantant la brillance, la finesse et la blondeur des cheveux de son cadet – et qui, lorsqu’il avait cinq ou six ans, lui offrit  » une robe verte avec au bout des manches une broderie très fine d’un vert plus soutenu » , puis l’assit sur ses genoux en lui répétant  » Tu es ma petite princesse. Personne ne le sait, mais tu es ma petite princesse.  » Avec style, Michel Layaz dissèque une enfance oppressante et peuplée de moments aussi forts que déroutants. Sa phrase ciselée dit à merveille les violences cachées, les plaies impossibles à cicatriser, le réconfort que peuvent procurer les mots.