Marie Hirigoyen dans Page, revue des libraires, septembre 2006

Il est bon que personne ne nous voie…

Et il serait bon que Michel Layaz, auteur suisse et singulier, obtienne avec ce titre une reconnaissance attendue. On n’est pas sérieux quand on a quinze ans… Voici un adolescent qui croque la vie comme une boîte de « biscuits chics », avec la curiosité du photographe qu’il rêve de devenir. Employé par un couple de bouchers fantasques, il fait de Walter, le commis, son maître spirituel : à ses côtés, il apprend à désosser une épaule et à y déchiffrer le monde et les âmes. Autour de lui, il y a aussi son camarade Raton le « motothéiste » passionné de mécanique et involontaire poète mélangeur de mots. Surtout, il y a Charlotte, qui l’initie à de bien étrange manière à « l’amour qui retourne les cœurs » et les sens : ensemble, ils apprivoisent les forces mystérieuses de la forêt grâce à des rituels quasi chamaniques. Tout en faisant l’apprentissage de la vie, il doit aussi faire face à la maladie de son père, ressentie comme un effacement progressif, et adoucir le chagrin de sa mère. Ce deuil mettra fin à une joyeuse vie familiale où l’on aimait chanter à tue-tête en voiture et pique-niquer en des endroits insolites. En cours de lecture, on s’apercevra que le narrateur, échoué à « l’hospice de vieillards » se remémore sa jeunesse. Comme Charlotte avec qui il s’initia à l’amour de la vie et au plaisir d’aimer, c’est l’exubérante infirmière Lucie, rebaptisée « Lucie-Lucifer », qui va lui apprendre à mourir avec autant de fantaisie et d’inventivité. Premier amour, dernier amour, deux moments clés d’une existence.