Alexandre Caldara dans L’Express (janvier 2005)

Odeurs et larmes de Layaz

Le lauréat 2004 du Prix des auditeurs de la Radio suisse romande présentera ce soir à Neuchâtel son écriture ample, imagée et singulière. Six romans qui soulignent l’importance de la déviance dans nos sociétés

Dans « La joyeuse complainte de l’idiot » (éditions Zoé) de Michel Layaz, on se plaît à isoler l’antépénultième phrase : « Nous oublions les faux départs et les vrais chagrins. » Comme si ce groupe de mots parlait de tous les per-sonnages de cette « demeure », une insti-tution pour gens diffé-rents où l’on mange des plats savoureux et l’on croise des personnages fantaisistes toujours croqués avec tendresse et humanité. La violence, la cruauté de cet auteur romand n’apparaît que lorsqu’il parle des autres, ceux de la ville, de l’extérieur : « Les cerveaux de ces jeunes garçons et de ces jeunes filles foisonnent de termes techniques, empoisonnent les yeux, élargissent les narines, entortillent les entrailles, des termes fangés d’ennui comme valeurs boursières, fluctuations du Nasdaq, marchés financiers, cash-flow, variations des cours, Dow Jones. »

Prix Dentan 2003

Invité par de nombreux acteurs du monde littéraire neuchâtelois Michel Layaz parlera ce soir à 19h15 au Centre culturel neuchâtelois, de ce sixième roman. « J’accepte toujours ces invitations même si je ne sais pas ce que l’on attend d’un écrivain. On nous demande de fabriquer une image en peu de temps. Même si, comme Barthes l’a dit, il faudrait toujours échapper aux images. C’est un jeu social, je n’en souffre pas. Et même si cela ne m’est encore jamais arrivé, j’accepte la possibilité de faire faux bond. » La difficulté pour cet écrivain lauréat du prix Dentan en 2003 et de celui des auditeurs de la Radio suisse romande en 2004 est aussi la distance qui existe entre un livre déjà paru et son auteur : « Ce qui m’intéresse en ce moment c’est le livre que je suis en train de faire. Un livre publié ne vous appartient plus vraiment. Ecrire c’est aussi se débarrasser de morceaux de soi. »

Des univers délirants

Layaz est de ces auteurs que l’on peut lire avec le nez : « A peine la fenêtre s’ouvre-t-elle que l’odeur qui s’en échappe vous tombe dessus comme une bâche et vous prive d’air, vous prend à la gorge, vous absorbe, met devant vos yeux des gouttes de sueur. » L’écrivain est toujours surpris quant on lui parle de cet aspect : « Je n’arrive pas à dissocier les odeurs de ce que je vois ou ressens, donc cela me surprend, car c’est ma façon de percevoir. » Dans « Les légataires », il écrivait même : « Il existe une perfection de la puanteur. » On peut parfois reprocher à Michel Layaz d’enrober son propos de bavardage, de gouaille, d’élégance feutrée et désuète. De tellement vouloir traquer l’image juste qu’il se perd. Mais ses digressions lui permettent aussi de nous promener dans des univers délirants (comme chez Régis Jaufferet) ou contemplatifs (comme chez Robert Walser) : « Je n’osais y croire, avec lourdeur, avec accablement, pendait l’inimaginable, non pas un être humain, ou une bête, ou un drapeau de pirates, de vauriens, de farceurs, de bagnards, mais l’infâme torchon, le blason à rebours, l’oriflamme de la crasse que le vent, tempétueux par instant, tentait inutilement de bouger, de relever de quelques centimètres, mais en vain, la chose se remuant moins aisément que la dalle d’un cénotaphe. » Même s’il choisit des figures très différentes : femme fatale dans « Ci-gisent » ; personnages à la dérive dans « Les légataires » ; mère castratrice et aimante dans « Les larmes de ma mère », Michel Layaz construit des histoires dont la trame est souvent la déviance, l’anormalité ou même la folie. « Lorsque l’on écrit on est toujours surpris par ce qui devient nos thèmes. Il subsiste toujours une part de soi, même si j’essaie d’être toujours nouveau vis-à-vis de l’écriture. »